JUDE BOUCHER
« Matins de brume »
Par: Joffre Grondin

Georges Pelletier, le beau-frère et Jude Boucher sont amis depuis leur cours classique, donc depuis toujours. Ils sont les deux co-héros de ce qu’on pourrait appeler la passe du Hereford, mais...enfin... qui lira verra.
« J’ai l’âge respectable du chèque fédéral », lançait avec humour l’auteur lors du lancement de son livre. Cette seule réflexion donne une bonne piste pour qui veut saisir le personnage. L’homme aime les mots, est un fin observateur, possède un sens de l’humour subtil et utilise le tout pour fabriquer le mélange que l’on retrouve dans « Matins de brume », son premier livre. Ce n’est qu’une piste, n’oublions pas. Il y a beaucoup plus.
Le livre est un peu l’histoire de sa vie. Mais, osons le dire, l’intérêt dans la lecture du livre va au-delà de « sa » vie. L’art particulier que l’auteur a développé est tellement précis dans ses descriptions, son choix de mots (« … c’est du stress étiré, tordu, tressé, lacé, lacéré, déchiré »), que le lecteur devient comme un spectateur très intime qui aurait obtenu le privilège d’entrer dans la tête de l’auteur, non pas comme voyeur, mais comme un observateur qui aurait la chance de pouvoir constater les résultats de décisions et d’actions dans une vie, sans avoir à en payer le prix.
Le fait que Jude Boucher affirme « entremêler autobiographie et fiction » n’infirme pas ce propos. Comment démêler vérité et fiction ? Mais pourquoi le faire ?
Se glisser dedans, se glisser dehors
Un élément important, récurrent dans le livre, dans lequel chacun peut se reconnaître, est la façon dont l’auteur glisse avec humour de la réalité à la fiction. Il le fait d’une façon particulière.

Jude Boucher est un homme qui n’est pas verbo-moteur, il semble réservé de prime abord, parle peu, observe beaucoup et écrit lentement. Sa «blonde» Suzanne sait comment dire les choses pour le faire rire.
Il n’y a pas une personne sur la planète qui ne sort pas de la réalité dans sa tête en « s’imaginant » des choses, en se montant des scénarios, un peu comme un film. Certains appellent ça « être dans la lune » ou « penser à autre chose ». Un moment, on est concentré, soudain on est parti. Souvent sans transitions. Réel, irréel, réel, irréel et la vie continue. L’un doit balancer l’autre.
En lisant le livre, on a l’impression que l’auteur, tissant avec minutie et rigueur sa toile de mots, repère soudain une potentialité nouvelle de développement. La vie lui avait fait prendre la gauche de l’embranchement, et en revisitant sa mémoire, il laisse soudain son humour naturel prendre le dessus et se lance pour un moment dans l’exploration de la voie de droite pour voir ce qui serait arriver si…
Il revient vite à la réalité. Démêler vérité et fiction ? Le faire serait perdre le plaisir de la lecture.
D’où ça vient, où c’est, où ça va
On a tendance à se questionner sur l’origine des choses ou des êtres. On aime connaître le processus depuis le début, les conditions qui ont permis d’arriver au résultat. C’est normal. L’être humain est très conscient de vivre dans le temps. Il n’y a pas de génération spontanée. C’est pourquoi connaître, au moins un peu, le parcours de quelqu’un permet, d’autant plus, d’apprécier sa réalisation, sa création, sa construction, autrement dit, comment l’érection de son oeuvre s’est faite.
Monsieur Boucher fut homme d’affaires dans la construction et la rénovation. Il y a passé la majorité de sa vie. Son parcours passe par le cours classique et l’obtention d’une licence en orientation de l’université Laval. Après quelques années dans l’orientation, lui-même change… d’orientation.
Les citations de La Fontaine, de Beaudelaire et Fontenelle, entre autres, confirment qu’il connait ses classiques… et son classique avec Beethoven, Mozart, Wagner, mais aussi, Tex Lecor, Léveillée, Jean Gabin et Richard Desjardins. Elles épicent le texte, le colorent et on réalise assez facilement qu’elles ne sont pas introduites pour impressionner, mais que chacune y est délicatement déposée, comme si le récit avait insisté sur sa présence.
Ce qui ne veut pas dire que le texte est ardu. Au contraire, la langue est simple et directe; le fait que certains mots plus rares (haruspice) fassent quelquefois une apparition agit comme les fines herbes dans la sauce, ils relèvent le goût.
Bon, je vous donne un indice pour haruspice. Le livre « Astérix et l’haruspice » n’existe pas, c’est Astérix et le d…
Anecdote. Intimé par un policier de baisser le volume de sa radio, le policier lui demande discrètement de qui est la musique. C’était du Beethoven.
T’aimes et thèmes
Le livre, précise l’auteur, « a été écrit à la main, en écoutant de la musique, sur une période d’une douzaine d’années, mais surtout depuis 5 ans ». D’environ 265 pages est composé de très courts chapitres, excepté « Alefurt et Hereford (1973) », une épopée bovine de 30 à 35 pages, sur fond de « concerto en meuh mineur ».

Matins de brume. À la librairie Sélect seulement. Le reste du Québec ne saura pas ce qu'il manque
La nature (l’auteur adore la pêche), les rapports hommes/femmes, des réflexions philosophiques sur la vie et l’omniprésence d’émotion et d’humour forment la trame de « Matins de brume » qui est, selon l’auteur, une « réflexion sur la vie et la mort ».
Suite
Jude Boucher possède encore plusieurs textes dans sa manche. Un second volume où reviendront plusieurs personnages exposés dans le premier volume est en préparation. On peut espérer que Gonzague du Buisson de la Gauchetière revienne. Les noms aussi sont amusants dans « Matins de brume ».
Le livre, publié à compte d’auteur, n’est en vente pour le moment qu’à la Librairie Sélect de Saint-Georges, qu’on peut joindre au 418 228-9510 ou par courriel à [email protected]