Le Barrage Sartigan : bientôt 50 ans (1967-2017)

Vue de la rive ouest en mai 2016. Le barrage Sartigan s’est refait une beauté pour son cinquantenaire. Il a été renforcé et deux bâtiments ont été ajoutés. Photo : Gracieuseté Société historique Sartigan
Par André Garant
Autrefois, les Beaucerons parlaient des coups d’eau printaniers de la rivière Chaudière. Les inondations étaient causées, entre autres, par des embâcles des nombreux méandres de la rivière Chaudière dite ombreuse. Cependant, que dire des débâcles de juillet 1917, de la mi-juin 1922, de décembre 1957 et de janvier 2008?
Jadis, on bâtissait les pieds dans l’eau.
À une certaine époque, on construit des estacades ou brise-glace sur la Chaudière. À Beauceville, en 1932, la Commission des eaux courantes du Québec débourse 1000$ pour les piliers desdits estacades…sans nuire au futur barrage hydro-électrique des Rapides du Diable. En 1937, on apprend qu’Édouard Lacroix (1889-1963) s’est gardé des pouvoirs électriques futurs possibles aux Rapides et à la rivière Le Bras. Dès 1950, la Municipalité de Saint-Georges-Est demande fortement l’érection d’un barrage sur la tumultueuse rivière Chaudière. Les riverains seraient-ils tannés de porter des culottes à marée haute?

Vue automnale, de la rive ouest, du Barrage Sartigan version 1967. Photo : Gracieuseté Société historique Sartigan
Nous mâterons la Chaudière!
Tel est le slogan répété à plusieurs reprises, le dimanche après-midi, le 17 décembre 1967, lors de l’inauguration officielle du Barrage Sartigan. Voici les personnages politiques importants qui inaugurent enfin ce barrage tant attendu: le nouveau ministre unioniste des Ressources naturelles, Paul-Émile Allard (1920-1995), Maurice Sauvé (1923-1992), ministre libéral fédéral des Forêts et du Développement rural et Clément Vincent (1931-), ministre de l’Agriculture et de la Colonisation du Québec et responsable de l’ARDA-Québec, 1,800,000$ sont alors consacrés à cet ouvrage de rétention des eaux. Aussi, « ce barrage constitue l’ouvrage principal dans un plan d’ensemble d’aménagement de cette rivière, dont la réalisation représente un déboursé de l’ordre de 8 millions. »
Gendre de l’ex-député unioniste Georges-Octave Poulin (1894-1963). Paul-Émile Allard (1920-1995) est nommé ministre des Ressources naturelles depuis le 31 octobre 1967. Enthousiaste, M. Allard déclare, le 8 novembre 1967 : «… nous projetons la construction de deux autres barrages à des endroits différents pour atteindre un maximum de sécurité.»
Le maire de Saint-Georges Jacques Pinon (1914-1969) se réjouit : « C’est une victoire sur la démagogie qui en parlait depuis 40 ans à chaque campagne électorale. » Naturellement le député fédéral de Beauce, Jean-Paul Racine (1928-1988) a su compter sur la coopération régionale. Jean Duval (1898-1989), curé-fondateur de la paroisse l’Assomption, procède à la bénédiction de cet ouvrage imposant : 650 pieds de longueur (192 mètres), 36 pieds de largeur à sa base et 55 pieds 9 pouces de hauteur.
« Destiné à retenir les glaces printanières et à régulariser le débit de la rivière en toutes saisons, il constitue l’un des ouvrages principaux permettant d’atténuer les mauvais effets des crues catastrophiques de la Chaudière. » Faut-il rajouter que le barrage sert de pont entre les deux rives? Lieu de pêche très fréquenté. Site où les outardes, les canards et les hérons se prélassent…

Photo du moulin de Louis Gendreau autour des années 1900. Construit sur la rive est, au même endroit que le barrage Sartigan, on voit le cimetière Jersey, au centre de la photo. Photo : Gracieuseté Société historique Sartigan
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Le Barrage Sartigan
Aujourd’hui, en 2016, il ne reste qu’une inscription sur une grosse roche : Jersey Cimetery…(cemetery) qui ne date certainement pas du XIXe siècle. De plus, les treize pierres tombales lues par le Frère Adjuteur en 1933, aucune ne semble avoir été transférée au Marlow Cemetery de Saint-Théophile. Où sont ces monuments funéraires de pionniers de Saint-Georges? Y a-t-il eu vandalisme ? En 1967, lors de la construction du barrage, a-t-on fait preuve d’ignorance de la valeur du passé collectif local? Geste disgracieux, en août 1990, une pierre tombale du cimetière de Cumberland Mills est retrouvée dans le ruisseau d’Ardoise : la jeune Florence Beatrice Loweryson, décédée à 4 mois et demi, le 6 août 1896.

On voit plus clairement les pierres tombales sur le détail cette photo de 1900. Selon le frère Adjuteur, 35 ans plus tard, il ne restait plus grand chose. Photo : Gracieuseté Société historique Sartigan
Le journaliste et historien Roger Bolduc (1921-1985) est le responsable de la dénomination de Sartigan. Le 6 juin 1973, la Commission de toponymie du Québec officialise le tout. Depuis 1975, la Ville de Saint-Georges s’y approvisionne en eau. En 1974, une usine de filtration voit le jour au Village Morency, sur la 1re avenue sud de Saint-Georges. Le terme abénaquis Sartigan, est une déformation de Satigan, Saint-Ignan, Chatignan, et désignait jadis l’ensemble du territoire beauceron. Honorius Provost (1909-1997), le renommé historien de la Beauce, écrit que Msakkikkan ou Méchatigan ségnifie aussi la rivière du Sault de la Chaudière.
Naturellement, un ouvrage important comme un barrage doit tenir compte de l’environnement et de l’histoire.
Profanation du Jersey Cemetery?
L’environnement du barrage Sartigan est chargé d’histoire. De 1881 à 1890, avec Joseph Frigon (1846-1936), Louis Gendreau (1852-1935) exploite un moulin à scie, au site actuel du Barrage Sartigan, au secteur Jersey Mills de Saint-Georges-de-Beauce. Jouxtant le moulin Gendreau, le moulin Wright fabrique des bobines pour le fil. L’hôtel American House de l’Irlandais Michaël Cahill (1827-1892) est presqu’en droite ligne du barrage, sur le bord de la route.

Photographiée il y a 4 ou 5 ans, la pierre était solitaire, à flanc de coteau, affirmant que le JERSEY CIMETERY se trouvait là. Mais tout autour, seulement des arbres, souvent épineux, mais de pierres tombales, point. Pas de cimetery, ni de cemetery. Pourquoi l’a-t-on abandonné ?
Le frère Adjuteur enquête
Depuis quelques années, Lorenzo Favreau alias Adjuteur (1886-1961), Frère de la Charité, enquête sur l’histoire de Saint-Georges. En 1933, il déclare qu’il a vu des ses yeux les monuments funéraires suivants, au petit cimetière (presbytérien et anglican?) de Jersey Mills (près de l’actuel Barrage Sartigan)…en 1935, « Il ne reste guère que le terrain et 3 ou 4 monuments par terre. Espérons qu’au moins on place à cet endroit une plaque commémorative », souhaite le Fr. Adjuteur. Paraît-il que chez les protestants, les pierres sont tournées vers l’est :
John Elliott, né à Antrim, Irlande. Décédé à 86 ans, en 1857
Agnès Linton, décédée a 84 ans, le 22 novembre 1856
Agnès Elliott, épouse d’Alexander Neal, décédée le 9 septembre 1825, âgée de 24 ans
Samuel Young, décédé le 20 mars 1818, à 28 ans
Thomas Young, décédé le 11 décembre 1851, à 30 ans
Robert Rainey, décédé le 16 août 1838, à 70 ans
William Rainey, décédé le 28 décembre 1839, à 61 ans
Elisabeth McElwaen, décédée le 24 mars 184?, à 75 ans
Robert Rainey, jr, décédé le 5 avril 1864, à 63 ans
Margaret Garnagham, épouse d’Alexander Cathcart, décédée le 28 mars 1845, à 63 ans
Alexander Cathcart, décédé le 15 mars 1857, à 83 ans
Jane Carnham, épouse d’Alexander Cathcart, décédée le 13 janvier 1836, à 41 ans
Alexander Cartile Cathcart, né à Antrim, Irlande, décédé le 19 septembre 1883, à 82 ans.
Aujourd’hui, en 2016, il ne reste qu’une inscription sur une grosse roche : Jersey Cimetery…(cemetery) qui ne date certainement pas du XIXe siècle. De plus, au Marlow Cemetery. Où sont ces monuments funéraires de pionniers de Saint-Georges? Y a-t-il eu vandalisme ? En 1967, lors de la construction du barrage, a-t-on fait preuve d’ignorance de la valeur du passé collectif local? Geste disgracieux, en août 1990, une pierre tombale du cimetière de Cumberland Mills est retrouvée dans le ruisseau d’Ardoise : la jeune Florence Beatrice Loweryson, décédée à 4 mois et demi, le 6 août 1896.
À Jersey Mills, des remplissages de terre recouvrent peut-être certains artefacts.
En 1967, amateurisme patrimonial?
En 1967, en plein centenaire de la Confédération canadienne, n’aurait-il pas fallu qu’une fouille archéologique précède la construction du Barrage Sartigan? Aussi, on raconte qu’un ou des boulets de canon (de Benedict Arnold en1775?)furent trouvés lors du creusage du barrage de 1967. Un crâne aurait même été vu sur le bord de l’eau du barrage. Le Ministère a même coulé un mur de ciment pour retenir la terre du Jersey Cemetery. Jadis, des régates se déroulaient sur le plan d’eau du barrage; certains amateurs, bières à la main se tenaient sur le muret du cimetière…
Fin XIXe siècle, un certain William Wilson serait le responsable de plusieurs exhumations du cimetière du barrage vers celui du Marlow Cemetery de Saint-Théophile. Le tailleur David Wilson, époux de Jane Elliot, fille de John Elliot, décédé de la tuberculose en 1835, aurait été d’abord inhumé au Jersey Cemetery au Barrage. Plus tard, ses restes auraient été transférés au cimetière Pozer : David Wilson décédé le 29 novembre 1835 à 34 ans, est né en Écosse à Kilmarnuck. Fille de David Wilson, Jessie Wilson (1830-1860) est l’épouse de William Ernest Münkel (1821-1893), fils du Dr Johann Heinrich Ernst Münkel (1799-1864).
Or, où seraient les restes de l’Allemand, le Dr Johann Ernst Münkel (1799-1864)? Quant à lui, l’Anglais James Calway (vers 1792-1856), après ses funérailles à Saint-Gilles de Lotbinière, a probablement été enterré au Jersey Cemetery avant de se retrouver au cimetière Pozer. Les restes du seigneur du fief Saint-Charles-de-la-Belle-Alliance, dans l’est de Saint-Georges, l’Irlandais James Godfrey Hannah (1788-1851), sont-ils encore au Jersey Cemetery du Barrage?
Enfin, pourquoi l’Église d’Angleterre n’est-elle pas intervenue pour protéger le petit cimetière, près du Barrage Sartigan? On raconte que cette Église n’a jamais reconnu officiellement ce petit cimetière de Jersey Mills. Y a-t-il eu profanation par remplissage de terre et aménagement de la voie d’accès au barrage ? Les voisins du petit cimetière Jersey ont-ils été témoins de pillage? 50 ans plus tard, on préfère oublier?
Il y a un autre cimetière presbytérien dit cimetière Cathcart, à la hauteur de la 198e rue, sur la 2e avenue sud. Une chapelle fut en opération du 25 août 1881 à 1959.
De toute façon, pourquoi a-t-on permis jadis de bâtir sur le cimetière des 29 Allemands décédés lors d’un abattis, dans l’ouest de Saint-Georges, au cours de l’été 1820. Ils seraient inhumés au coin de l’actuelle 1re avenue ouest et de la 18e rue à Saint-Georges.
Enfin, au moins, une plaque commémorative ne devrait-elle pas rappeler la construction du barrage, la présence de moulins industriels et du cimetière Jersey de jadis? Au cœur de notre rivière Chaudière… slogan pertinent du projet réalisé en 2016 par Linda Champagne de la Société Historique Sartigan et son équipe.
Les erreurs du passé nous guident-elles dans des décisions du présent?
Pour les intéressés : https://beaucemagazine.com/2014/09/04/le-cimetiere-marlow/
https://www.youtube.com/watch?v=kHWohlczvPg
André Garant
Sources :
Ancestry.ca
Archives personnelles, André Garant
BMS2000
Commission de toponymie du Québec
L’Éclaireur-Progrès, 8 novembre 1967 et 20 déc. 1967
Les Abénaquis sur la Chaudière, Honorius Provost, 1983