Le cas du Quai Pinon
Par: Joffre Grondin
Quelle est la différence entre pleumer un ours et refaire le Quai Pinon ? Avant de pleumer l’ours, il faut l’abattre, mais avant de refaire le Quai, pas besoin d’attendre qu’il s’abatte. C’est ainsi que s’inspirant de cette sagesse toute confucéenne, le conseil commanda, en 2011, une étude avant que le quai ne se sente tellement abandonné, que par désespoir il se laisse lentement glisser dans la rivière.
Le Quai Pinon à Saint-Georges a un demi-siècle. Le temps était venu de statuer sur son sort. La Ville avait en poche une deuxième analyse faite en 2012, et vers la mi-juin, une présentation publique dévoilait les résultats de ces deux études importantes.
Intervenir, mais comment
La première, datant de 2011, démontre l’inévitabilité d’une intervention, car le Quai se détériore à l’extérieur et aussi à l’intérieur. La deuxième, une étude d’impact, propose des façons d’intervenir qui devront être approuvées par le ministère de l’Environnement.
Mandat principal : refaire le mur
Jean-François Bourque, biologiste originaire et résidant de Notre-Dame-des-Pins, est chef de projet pour la firme AECOM (45 000 employés). Il précise au départ que « le mandat principal est de proposer des concepts d’ingénierie pour refaire le mur, avec les particularités de la rivière, et en deuxième lieu, d’aller chercher les autorisations environnementales pour réaliser le projet ».

Jean-François Bourque, biologiste et chargé de projet pour AECOM a présenté les options de réfection
Aménagement
Mais le biologiste poursuit du même souffle. « Étant donné que ça fait partie d’un projet global de revitalisation du centre-ville, on a demandé à Option aménagement de proposer un concept architectural pour la future Promenade Redmond… mais ce n’est pas l’objet du mandat actuel, c’est une phase conceptuelle uniquement ». Coûts de cette conceptuelle phase : entre 6 et 8 millions.
Autrement dit, avant même de savoir si, et de quelle façon le ministère autorisera les travaux, on se demande comment aménager le 13,2 m. d’espace de la future promenade. Pour rester dans la comparaison d’animaux, c’est un peu comme mettre la charrue avant les boeufs, ou essayer de pleumer un ours encore vivant. On peut aussi voir ça comme de la prévoyance, ou d’une manière d’introduire une certaine vision, ou encore de lancer une ligne pour voir la réaction des poissons.
Nous reviendrons à cette projection dans un autre article. Ce fut d’ailleurs le sujet de la grande majorité des interventions de la salle, et on peut comprendre.
Le fait que le ministère de l’Environnement pourrait exiger de remettre le tout dans le même état qu’avant l’érection du mur a été décrit comme une possibilité. Il ne faut pas oublier que le Quai a été construit dans la rivière. Jean-François Bourque a souligné plus tard le fait que remplir une rivière rendait le ministère très « chatouilleux ». Le maire Fecteau a cependant immédiatement déclaré cette possibilité comme inacceptable, ce qui n’a pas dû perturber le ministère de façon significative. Après tout, si l’autoroute 73 n’est pas encore à Saint-Georges après 50 ans, on peut s’attendre à tout.
Les 5 propositions de réfection
5 scénarios ont été envisagés, mais en fait, 4 ne sont que des « on est obligé de le proposer, car le ministère va le demander ». Après avoir examiné 33 critères, le projet retenu est celui d’un mur Berlinois, comme on peut voir sur le plan. Le mur commencerait à 70 cm en avant du mur actuel. L’option 2 serait semblable, mais à la base du mur actuel. Les autres options impliquent soit un empiètement inacceptable dans la rivière ou la destruction du mur.
Coûts projetés : 14 millions $.
Réfection obligatoire
La présentation de la firme AECOM a certifié ce qu’un coup d’oeil indique. « L’analyse de stabilité du mur existant réalisée tend à démontrer que le mur existant ne satisfait pas les critères de stabilité au regard de la norme CAN/CSA S6-06 », peut-on lire dans le document de présentation.
« La qualité du béton observée, le niveau de désagrégation de ce dernier et le phénomène de réaction alcali-granulat rencontré affectent réellement l’intégrité structurale du mur en limitant sérieusement le restant de sa vie utile ». Finalement, on ajoute « architecture déficiente ». On ne voit nulle part « En bref, ce n’est pas loin de tomber en ruines », mais on aurait envie de l’ajouter. « À plus ou moins long terme, il y a des morceaux du quai qui vont tomber », a d’ailleurs lancé Jean-François Bourque.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Élu en 1966 comme maire Jacques Pinon, visionnaire, s’était battu bec et ongles pour la construction de ce quai alors qu’il était conseiller. « La joliesse de notre ville » avait-il déclamé dans un de ces discours, stupéfiant son auditoire par la hardiesse du mot qu’on n’avait jamais entendu de mémoire de père Gédéon. Appuyé par la population, le Quai fut construit en trois ans sur ce qu’on appelait les travaux d’hiver.
Histoire et autopsie du Quai
C’est le maire de Saint-Georges, François Fecteau, ingénieur de formation, qui a fait l’introduction. Visiblement à l’aise avec son sujet, il a décrit la composition du Quai, son état actuel et les résultats de l’étude réalisée par la firme Génivar, qui a fait en quelque sorte « une autopsie » du quai.
Le quai s’étire sur environ un kilomètre et a été conçu à l’époque pour protéger la berge Est de la rivière, au niveau du centre-ville, l’endroit où la majorité des commerces se trouvaient à l’époque, et bâti pendant 3 années consécutives avec « les moyens de l’époque », les « travaux d’hiver ». Alors que beaucoup de travailleurs se retrouvaient sans emploi pendant l’hiver, le gouvernement mettait de l’argent pour des travaux qui servaient la communauté et en même temps donnaient de l’emploi.
C’est ce qui s’appelle un quai poids, ce qui veut dire que la base (9 pieds) est beaucoup plus large que le sommet (4 pieds). « Du béton coulé à la brouette avec des roches jetées dans la forme pour économiser le ciment », sans armature d’acier.
Malgré tout, s’étonne presque le maire, « 50 ans plus tard, le quai n’a pas montré d’instabilité sur le sommet du quai, sauf qu’il a montré des signes de détérioration au niveau de la fissuration et aussi de l’apparence extérieure ».
La Ville fait appel à la firme Génivar en 2011 pour faire des relevés, décrire précisément l’état du Quai en profondeur et décrire sa stabilité.
Diagnostic
Même si le Quai n’est pas instable, la détérioration est importante. La partie extérieure est effritée de 10 à 18 pouces de profondeur.
À l’intérieur, le phénomène de la réaction alcali-granulats est commencé et va se poursuivre. Pour être plus clair, on désigne aussi cette réaction comme le cancer du béton. Si vous voulez vraiment en savoir un peu plus, allez ici : http://www.memoireonline.com/10/12/6325/m_Mecanismes-d-alterations-des-materiaux-cimentaires-soumis-aux-milieux-fortement-agressifs48.html et pour fesser aplomb dans une conversation bétonnée, vous pourrez passer une phrase comme « la réaction manifestée par des calcaires dolomitiques qui renferment des impuretés phylliteuses ».
Donc, le Quai s’en va su’a bum.

Regardez donc ça ! Dans la simulation d’aménagement, le Grand Marché est disparu. Et il y a plus d’oiseaux que d’autos.
Dans le but de trouver les moyens d’assurer une certaine pérennité, on va jusqu’à espérer une centaine d’années, le Conseil a retenu les services d’une autre firme, AECOM, pour faire une étude d’impact environnemental. Pour une intervention de plus de 300 mètres dans une rivière, la loi oblige à faire une telle étude, étude qui a nécessité une dizaine de mois de travail.
Le processus est enclenché pour obtenir l’autorisation de faire les travaux sur le Quai. C’est le ministère de l’Environnement qui contrôle, mais une trentaine de ministères sont impliqués.
On espère que la première solution soit acceptée, mais comme on l’a dit plus haut, ce n’est pas sûr.
Quant au futur aménagement…