LA GUERRE, L’HORRIBLE GUERRE
Le « Casque bleu » Marco Vigneault bientôt médaillé
Par: Yvon Thibodeau, collaboration spéciale

On croirait un décor de film. On oublie souvent que ce sont les films qui copient la réalité. En Bosnie, il y a 19 ans, Marco Vigneault, responsable aux approvisionnements et chef des armes, agissait également en tant que chauffeur pour le Major Moosang, membre des Forces canadiennes et commandant de la Compagnie B. Photo: Gracieuseté Marco Vigneault
Le 6 avril 2012 marquait le 20e anniversaire du déclenchement de la guerre de Bosnie. Elle aura comme conséquence tragique que plus de 100 000 personnes y perdront la vie. L’ex-caporal Marco Vigneault, de Saint-Georges de Beauce, faisait alors partie des 14 000 Casques bleus envoyés par l’ONU en ex-Yougoslavie, leur rôle consistant à protéger la population civile et aider à l’acheminement de l’aide humanitaire.
En 1993, ce dernier passa sept mois dans cet enfer, détenant alors le poste de responsable aux approvisionnements et chef des armes, ce qui l’obligeait à mettre quotidiennement sa vie en danger, devant se rendre dans les zones les plus à risques.
Pénibles souvenirs
La Guerre de Bosnie a débuté lorsque l’armée populaire yougoslave a attaqué la Bosnie-Herzégovine, qui venait de déclarer son indépendance le 1er mars 1992. S’ensuivit alors une série d’opérations militaires entre les Serbes, les Croates et les Bosniaques. Il est important d’insister sur la frustration ressentie par les Casques bleus, qui avaient reçu comme consigne de protéger la population civile, sans toutefois intervenir directement dans ce conflit, sous peine d’être traduits en Cour martiale.
Quelques semaines après le début de sa mission, Marco Vigneault reçut l’ordre d’aller décrocher du mur un jeune bébé, dont la tête et les pieds étaient transpercés de clous. « Alors que nous étions arrêtés à un “check point”, à quelques kilomètres de Srébrénica, j’ai déjà vu des Serbes ouvrir, à l’aide d’une machette, le ventre d’une femme musulmane enceinte, lui retirer son foetus qu’ils ont découpé en morceaux, et essayer de lui faire avaler. Ces assassins avaient pris soin de la traîner devant nous, sachant que nous ne pouvions pas la défendre », se rappelle-t-il avec émotion.

Une autre photo de film. Le convoi peut être attaqué n’importe quand. La différence avec le film est que les morts meurent pour vrai. L’ex-caporal Vigneault conduisait le deuxième camion à partir de la droite. Partis de Srébrénica, ce convoi de l’ONU devait se rendre à Visoko. La photo est une gracieuseté de Marco Vigneault.
Le fait de trouver des familles entières, qui avaient été tuées et qui gisaient au beau milieu des ruines encore fumantes de leur maison, ou de voir des enfants se faire violer par des individus sans aucun scrupule, laissera gravé dans la mémoire de ceux qui en ont été les témoins, des images qui hanteront leur sommeil pour toujours.
Horreurs au quotidien
Alors que son convoi avait pénétré dans une vallée, se retrouvant à la merci des armes d’assaut, le caporal Vigneault a dû changer à toute vitesse un pneu qui venait d’éclater, s’empressant de revisser uniquement à l’aide de ses doigts les boulons des roues du camion, tellement le degré de stress avait atteint son maximum. « Les Chetniks (fanatiques serbes) dévalaient les collines, armés de mitraillettes, et ils avaient fait placer des femmes et des enfants autour du convoi, afin de nous empêcher de quitter l’endroit.
Le Commandant britannique donna aussitôt l’ordre de démarrer, ce qui eut comme conséquence qu’une pauvre vieille femme fut écrasée par les chenilles d’un char d’assaut. “Ce n’était pas beau à voir”, déplore le militaire qui était alors âgé d’à peine 24 ans.
Marco et sa compagnie se sont déjà retrouvés dans un hôpital où plusieurs enfants étaient morts, gisant dans leurs excréments et pourrissants au milieu de ceux qui étaient encore vivants. Les médecins et le personnel infirmier avaient quitté les lieux, car les combats se rapprochaient. « Nous avons dû nous occuper de ces enfants, avant de pouvoir aviser l’équipe médicale de revenir, une fois que la situation fut revenue à la normale ».

Malgré le climat tendu qui régnait en Bosnie en 1993, les militaires pouvaient parfois prendre le temps de rire un peu. Photo prise dans le camp militaire, en compagnie de quelques Musulmans. Le responsable aux approvisionnements pouvait relaxer un peu. Une autre gracieuseté photo de Marco Vigneault.
Un jour, alors que le véhicule militaire qu’il conduisait suivait un autobus, lui et son camarade ont vu s’approcher plusieurs Serbes armés de mitraillettes. Ces derniers ont commencé à tirer avec leurs armes sur les vitres de l’autobus, pour ensuite entrer dans ce dernier et terminer leur sale besogne, tuant les personnes qui étaient encore vivantes. Comme toujours, les militaires n’ont rien pu faire pour aider les passagers, devant obtempérer aux ordres qu’ils avaient reçus.
Difficile retour de mission
Pas facile de revenir à la vie de tous les jours, comme me l’a confié Marco Vigneault, après avoir vu de jeunes enfants contraints de se placer en ligne, placer leur index et leur majeur sur une table, afin qu’on leur coupe les doigts, dans le seul but qu’ils ne puissent pas se servir plus tard de leurs mains afin d’utiliser une carabine contre leurs opposants.

Comme on peut le constater, les militaires ne vivaient pas dans le luxe et devaient se contenter du strict minimum. Photo du barda, Marco Vigneault
« Lorsque nous entrions dans un village, il arrivait que ça sentait la mort, car plusieurs corps gisaient dans les fossés. À mon retour au Canada, je ne pouvais plus aller dans un salon funéraire, car l’odeur me rappelait trop celle ressentie alors que j’étais là-bas ». Plusieurs militaires qui furent témoins de telles atrocités reviennent au pays étant victimes du syndrome de stress post-traumatique, un trouble anxieux sévère, qui se manifeste à la suite d’expériences vécues considérées par la médecine moderne comme étant traumatisantes.
L’ex-caporal Vigneault déplore le fait que lorsqu’ils revenaient au Canada, les militaires qui demandaient de l’aide essuyaient presque toujours un refus. « Ce n’est que lorsque le Général Roméo Dallaire est revenu du Rwanda qu’on a porté plus d’attention ce genre de pathologie. De plus, l’arrivée au pouvoir du Gouvernement conservateur a eu comme effet de redonner confiance à la plupart de nos Vétérans », rajoute l’ex-caporal. Ce dernier tient à souligner l’excellent travail du nouveau ministre des Anciens Combattants Steven Blaney, et celui de son prédécesseur Jean-Pierre Blackburn dans ce dossier.
Marco Vigneault est aujourd’hui âgé de 43 ans, et il a rejoint ses Frères d’armes au sein de la direction de la Légion royale canadienne filiale 249 La Beauce. Il a passé près de 10 ans dans les Forces armées canadiennes.

En 1993, l’ex-caporal Marco Vigneault, de Saint-Georges de Beauce, faisait partie des 14 000 Casques bleus qui furent envoyés en mission en Bosnie. Photo : Yvon Thibodeau
Médaille plus que méritée
Il y a quelques mois, l’auteur de ce reportage a soumis la candidature de l’ex-caporal Marco Vigneault, afin que ce dernier puisse recevoir la Médaille du jubilé de diamant de Sa Majesté la reine Élizabeth II. La candidature du soldat Vigneault fut acceptée par le comité de sélection, et Marco Vigneault recevra sa médaille le 13 septembre prochain. C’est le ministre d’État au Tourisme et à la Petite Entreprise et Député de Beauce à Ottawa, l’honorable Maxime Bernier, qui lui remettra cet honneur, lors d’une cérémonie qui se tiendra au Centre culturel de Beauceville.