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Zdzislawa Solecka « Rescapée d’Auschwitz »

Zdzislawa Solecka avait beaucoup de talent pour l’artisanat. On la voit ici dans sa petite boutique, laquelle était située face à l’Auberge Bénédict Arnold

par Yvon Thibodeau

Ghislaine Baillargeon, qui demeure aujourd’hui à Saint-Georges de Beauce, est née dans la ville de Varsovie, en Pologne, le 29 mai 1922. Son père Adam, qui possédait un doctorat en droit et en philosophie, travaillait au ministère de la Culture et des Renseignements. Il s’occupe en écrivant l’histoire de son pays et en débattant des droits de la personne. Il a monté une importante collection numismatique pour le Musée national de Varsovie. Il lui arrive également de donner des conférences en latin, sur la situation politique de la Pologne. Sa mère Szymanska Stanislawa, catholique très pratiquante, avait une santé très fragile. Zdzislawa passera donc quatre années avec sa grand-mère maternelle, pour être par la suite confiée à ses grands-parents paternels. À l’âge de vingt ans, elle termine ses études classiques, passe son baccalauréat en beaux-arts et amorce le droit. 

Le 28 septembre 1939, les Allemands entrent à Varsovie, et quatre années plus tard, soit le 1er octobre 1944, les Polonais se soulèvent et offrent une résistance à l’envahisseur. En guise de représailles, plusieurs d’entre eux sont fusillés ou faits prisonniers. Parmi ces derniers, tous les membres de la famille Solecka.

Quant à la jeune Zdzislawa, alors âgée de 22 ans, elle passera plus d’une année dans quatre camps de concentration, soit ceux de Ravensbrück, Meuselwitz, Taucha et le tristement célèbre Auschwitz.

Auschwitz

Lorsque les Solecka débarquèrent à Auschwitz, où plus d’un million et demi de prisonniers furent exterminés, Zdzislawa et sa mère Szymanska Stanislawa furent séparées du reste de la famille. Parce qu’il était apte au travail, son jeune frère Mietsiwa, qui n’a que 12 ans, fut envoyé dans la section des hommes. Quant à son père Adam, il fut par la suite transféré à Dachau, où il sera exécuté. Peu avant son départ et sachant qu’il ne reverrait plus jamais sa femme et ses enfants, il leur donna sa bénédiction, et prédit à sa fille Zdzislawa qu’elle connaîtrait la chance dans sa vie future. Dès son arrivée dans ce premier camp, elle observe les cinq énormes cheminées qui s’élèvent au-dessus des fours crématoires, desquelles s’échappe une fumée qui rend l’air difficile à respirer « On pouvait apercevoir des flammes rougeâtres qui jaillissaient de l’extrémité de chacune d’elles. Ça sentait la mort », se rappelle celle qui était alors loin de s’imaginer tout ce qu’elle aurait à affronter durant son passage dans cet enfer. « Chaque prisonnière devait se faire raser la tête, et porter une robe de coton, rayée gris et bleu. La nourriture était infecte. On nous servait deux pommes de terre, accompagnées d’une soupe immangeable. Au fond des chaudrons, on trouvait parfois des fils, bobines, aiguilles et de la ferraille. À l’extrémité de la baraque, on pouvait y trouver du pain sec, mais j’ai toujours refusé d’y goûter, car des prisonnières atteintes de typhoïde avaient mordu dedans. On se faisait une sorte de breuvage en faisant infuser des glands de chêne », me confie celle qu’on désignait comme étant le… « numéro 81101 ». « Nous dormions entassées les unes contre les autres sur des sortes de lits à plusieurs étages faits de planches. Des punaises tombaient sur les détenues qui couchaient sur la partie inférieure. Les prisonnières étaient souvent obligées de passer huit heures debout sous surveillance. La nuit, on nous réveillait pour nous envoyer aux latrines extérieures, et nous devions marcher pieds nus dans la boue et la neige pour nous y rendre ».

Lorsque cette photo fut prise, Zdzislawa n’avait que 16 ans, et était loin de s’imaginer les souffrances qu’elle aurait à endurer quelques années plus tard

L’enfer des camps de concentration

Dans les camps, on y pratiquait plusieurs expériences, notamment en forçant les détenus des deux sexes à s’« accoupler », selon le terme utilisé pour mieux les humilier. Par la suite, on faisait en sorte que les femmes accouchent après deux, quatre ou six mois de grossesse. Zdzislawa Solecka, qui fut témoin de ces atrocités, se rappelle certains détails difficiles à imaginer « Il arrivait parfois à ces bourreaux d’attacher les pieds de celles qui devaient enfanter, et elles mouraient alors dans d’horribles souffrances. Quant aux bébés qui naissaient, on les jetait bien souvent aux chiens, qui les dévoraient alors qu’ils bougeaient encore ». Lorsqu’elle me parle de son séjour au camp de Ravensbrück, Zdzislawa Solecka qualifie cet endroit de « pire place », du fait que les femmes qui avaient la peau plus claire étaient bien souvent écorchées vives, leur peau devant servir à fabriquer des abat-jour. Elle se souvient avoir passé bien près de la mort « Une fois, un officier de la Gestapo lança son chien après moi. Sachant que ces énormes danois avaient l’habitude de refermer leurs mâchoires sur la gorge de leur proie, je me suis jetée face contre terre, en tentant de me protéger le cou de mes mains, ce qui me sauva la vie. Le chien m’enfonça par contre ses crocs dans le dos, ce qui me laissa par la suite une grosse cicatrice le long de la colonne vertébrale ».

La longue marche dans la Forêt noire

En 1945, les autorités allemandes, sentant venir la défaite, décidèrent d’évacuer 8 000 prisonniers(ères) des camps, afin de leur faire entreprendre une longue marche dans la Schwarzwald (Forêt-Noire ), dont à peine 125 réussiront à s’en sortir vivants. « Il était plus facile pour les Allemands de faire en sorte que nous mourions d’épuisement, plutôt que d’avoir à nous fusiller, ce qui aurait laissé des preuves difficiles à faire disparaître ». Désireuse de calmer la faim qui la tenaillait, la jeune Polonaise quitta durant quelques minutes le groupe de prisonniers, afin d’aller cueillir des herbes de moutarde qui pourraient la rassasier. Elle regrettera par la suite ce geste téméraire, car un garde la retrouvera presque aussitôt. Il pointa alors l’extrémité de sa carabine sur le visage de la pauvre fugitive effrayée, appuya sur la gâchette, mais rien ne se produisit. S’apercevant que le chargeur ne contenait plus de munitions, il assouvit sa rage en assénant un solide coup avec la crosse de son arme au bras de Zdzislawa, ce qui obligera cette dernière à tenter de soigner cette blessure en y appliquant du plantain. Après avoir passé par toutes ces épreuves, n’ayant en tête que le désir de retrouver sa liberté, et étant encore prête à risquer sa vie pour y parvenir, elle prit la décision de fausser compagnie à ses gardiens. Son plan sembla avoir réussi, mais la joie retrouvée fut malheureusement éphémère. Ne trouvant aucun aliment pour se nourrir, elle devra alors se résoudre à ingurgiter le contenu d’une auge à cochon pour calmer son appétit. Comme ce fut le cas lors de sa première escapade, on la retrouva peu de temps après. Le soldat qui l’avait rattrapée et qui devait la fusiller, décida plutôt de surseoir à son exécution, et la vendit plus tard moyennant… une bouteille de whisky, geste qui lui sauva la vie une fois de plus.

Enfin la Liberté

Je laisse Zdzislawa me raconter les derniers moments de sa vie en tant que détenue, et la joie ressentie lorsqu’elle a pu enfin se libérer de cet enfer « Plusieurs dizaines de prisonniers(ères) furent par la suite enfermés dans une immense grange, qui était surveillée par des gardes allemands. C’était horrible, car les gens mouraient comme des mouches. Quelques jours plus tard, les soldats qui devaient nous surveiller désertèrent leur poste, face à l’avance des troupes russes. Lorsque nous avons entendu le bruit des chars d’assaut, nous avons décidé de tenter de sortir de cette grange. Avec l’aide d’une amie, j’ai réussi à m’extirper de ma prison en enlevant quelques planches. C’est alors que j’ai remarqué un jeune soldat russe, qui était assis sur son cheval. Comme je parlais cette langue, j’ai su qu’il s’appelait Vanya, et qu’il avait combattu en Pologne. C’est à ce moment qu’il m’annonça que la ville de Varsovie, celle où j’avais été si heureuse, entourée des membres de ma famille, avait été complètement détruite par les bombardements ».

Zdzislawa Solecka, alors âgée d’environ trois ans, en compagnie de sa mère Szymanska Stanislawa et de son père Adam Solecka.

Zdzislawa retrouve sa famille

Après avoir passé plus d’une année en captivité, et avoir frôlé la mort à plusieurs reprises, la jeune Polonaise ressortit de cette période très amaigrie, mais avec la conviction de refaire sa vie. Elle retrouva sa mère Szymanska ainsi que son jeune frère Mietsiwa, et ils regagnèrent plus tard Varsovie, qui avait été reconstruite. Qu’était-il advenu de son père ? C’est un ancien voisin affecté à la récupération des corps, qui avaient été brûlés dans les fours crématoires, qui les informa du triste sort qu’avait connu Adam Solecka. Après avoir enduré durant plus de huit heures d’horribles souffrances, les nazis lui ayant brisé les jambes et les bras, ces derniers l’avaient jeté dans un four crématoire, alors qu’il était encore vivant. Une vingtaine d’années après avoir été libéré des camps, possédant quatre doctorats, Mietsiwa, le frère de Zdzislawa, fut forcé d’accepter malgré sa volonté, un poste de ministre dans le Gouvernement polonais, alors sous contrôle communiste. Zdzislawa a aussi eu un frère adoptif, Baslewa, qui exerçait la profession d’avocat. Ayant été adopté après la fin de la guerre, il n’a donc jamais connu la vie dans les camps. Quant à celle qui échappa presque par miracle au régime nazi, elle termina des études en sciences policières, obtint le 1er prix de sa classe, doté d’une bourse de 250 marks, et travailla quelques années comme policière en Allemagne. Possédant un grand sens artistique, elle gagna par la suite un concours d’artisanat, ayant réalisé comme elle le dit fièrement « des nénuphars qui ressemblaient à des vrais », qu’elle avait placés dans un bol en cristal bleu. Elle conservera avec elle tout son matériel, dont elle aura grandement besoin et qui lui sera fort utile lorsqu’elle choisira d’émigrer au Canada.

Refaire sa vie en Beauce

Ayant appris que plusieurs Polonaises quittaient un petit village près de Frankfurt, suite à la visite d’un certain Ludger Dionne, qui recrutait des jeunes filles afin de venir travailler dans son usine de textiles au Canada, elle prendra la place de l’une d’elles qui était tombée malade et qui était décédée. C’est ainsi que cette rescapée des griffes d’Adolf Hitler se retrouva à Saint-Georges de Beauce le 29 mai 1947, date de son anniversaire. Une nouvelle vie débuta pour celle qui venait à peine d’avoir 25 ans. Comme ses 99 autres compagnes, elle était hébergée à son arrivée par les Sœurs du Bon-Pasteur. Étant donné qu’elle ne pouvait pas travailler à l’usine Dionne Spinning Mills, car elle perdait souvent connaissance, on lui confia un travail à la cuisine du couvent, pour l’envoyer par la suite dans la famille de M. Jules Baillargeon en tant que servante. Elle tombera alors en amour avec celui qui était devenu son parrain d’adoption, et épousera ce dernier le 11 octobre 1969, ce qui deviendra le premier mariage civil à avoir été célébré en Beauce. Son talent fit en sorte qu’elle connut beaucoup de succès en participant à des expositions et en offrant les objets d’artisanat qu’elle confectionnait. Elle travaillera également durant quelques années à Montréal, en tant que mannequin dans le domaine de la mode. Puis le couple revint s’établir à Saint-Georges. Qui ne se souvient pas de la petite maison de style suisse, située juste en face de l’Auberge Bénédict Arnold, qui était surtout fréquentée par la clientèle touristique provenant des États-Unis ? C’est dans cette petite maison que Zdzislawa et son époux habitaient. La partie avant de la maison servait de boutique, dans laquelle Zdzislawa vendait les objets artisanaux qu’elle avait confectionnés.

Zdzislawa Solecka, qui porte aujourd’hui le nom de Ghislaine Baillargeon et qui a eu 95 ans le 29 mai 2017, est une rescapée d’Auschwitz. Cette photo fut réalisée le jour même de son anniversaire.

Notons qu’à son arrivée à Saint-Georges, Zdzislawa Solecka, devenue Ghislaine Baillargeon, ne parlait ni le français ni l’anglais, mais pouvait s’exprimer dans six autres langues notamment l’allemand, le russe, l’ukrainien, le slovaque, le latin et bien sûr le polonais. Zdzislawa possède deux objets qui lui rappellent son séjour dans les camps de concentration : une barrette qu’elle avait réalisée avec un fil de fer récupéré dans la cour du camp d’Auschwitz, ainsi qu’une paire de ciseaux, habilement subtilisée à un soldat russe, qui s’était vanté de les avoir volés…. en Pologne.

Le droit au bonheur

Zdzislawa Solecka demeure assurément la seule personne en Beauce qui peut affirmer qu’elle a déjà rencontré deux des criminels de guerre parmi ceux qui furent les plus recherchés : le Dr Josef Mengele, celui qu’on désignait sous le vocable de « l’Ange de la mort », et qui fut responsable du décès de centaines d’enfants, suite aux expériences qu’il pratiquait notamment sur les jumeaux. Sans oublier le grand responsable de l’extermination de plusieurs millions de personnes : Adolf Hitler. Malgré toutes les souffrances qu’elle a dû endurer, à cause de la méchanceté démontrée par quelques représentants du genre humain, et après avoir été témoin des pires atrocités commises par ces derniers, Zdzislawa Solecka trouve malgré tout un sens à la vie, et réussit encore à s’émouvoir à la vue d’une jolie fleur…!

Ma chère Ghislaine, je m’estime très chanceux de faire partie de tous ceux qui ont eu le plaisir et l’honneur de te connaître, et surtout d’avoir eu la chance de recevoir tes confidences. Les personnes qui prendront connaissance de ce reportage seront peut-être surprises par le fait je t’appelle par ton prénom et que je te tutoie. Mais comme tu me l’as souvent répété : « Quand on est des amis, on se dit TU et on s’appelle par notre prénom ». Et en plus, lors de nos nombreux entretiens, tu m’as toujours affirmé entre deux accolades que tu me considérais comme étant en quelque sorte ton… « petit frère » !

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