Les deux statues du clocher de l’église de Saint-Georges

Par Joffre Grondin
Les personnes nouvellement arrivées à Saint-Georges ignorent peut-être que la statue équestre représentant Saint-Georges et le dragon, dont l’original est conservé à la bibliothèque municipale, est l’œuvre du réputé sculpteur Louis Jobin. Normal. En fait, si vous venez d’un autre pays, ou si vous vous intéressez peu à l’Histoire, ne pas connaître Louis Jobin est normal. Cependant, il y a beaucoup de « natifs » de Saint-Georges qui ignorent que les deux statues situées de chaque côté du clocher principal de l’église de Saint-Georges sont aussi l’œuvre de Louis Jobin.
Il faut admettre que peu de gens ont comme passe-temps la contemplation de clochers. Même en n’étant pas myope myope myope comme une taupe taupe taupe, il a fallu que quelqu’un d’informé, et qui n’en pouvait plus de contenir une si excitante information, me lance dans une conversation un « Savais-tu que les statues de chaque côté du clocher sont de Louis Jobin, comme le cheval…? » pour que la petite lumière s’allume, un watt à la fois. « Ah! oui! Ça vaudrait la peine de regarder ça. »
Ce qui a conduit à : « Mais qui sont ces deux gars qui nous regardent de haut ? »
Il a donc fallu fouiller le sujet en creusant un peu. Au sens figuré évidemment. Pour trouver des infos sur des statues à 200 pieds de terre, pas besoin d’une pelle. L’appel de l’histoire et du patrimoine suffit.
Premiers pas
C’est dans L’église de Saint-Georges. Un trésor d’architecture, un fascicule d’une vingtaine de pages, publié en mars 1993 par la paroisse, que nous avons trouvé les informations de base. Les auteurs, malheureusement décédés, Jeanne Paquet et Gérard Breton, formaient un couple absolument charmant, comme le savent ceux qui les ont côtoyés. Ils soutenaient « qu’à la lumière de ce document, le public saura apprécier avec beaucoup plus d’enthousiasme ce chef-d’œuvre qu’est l’église de Saint-Georges. »

Il y a eu une deuxième édition, remaniée, en 2002.
Premiers pas, de haut en bas.
C’est dans l’édition de 1993 que l’on peut lire que l’église a quatre clochers, que « trois de ces clochers surplombent le devant et le quatrième, la sacristie. Le clocher du centre fait une hauteur de 245 pieds. À son extrémité est fixée une croix de 10 pieds de hauteur dont le légendaire coq fait 18 pouces de hauteur. Il oscille de 11 pouces par grands vents. » Dans l’édition de 2002, les réviseurs se sont sûrement demandé d’où venait cette précision, et ont prudemment préféré écrire que le coq « oscille légèrement par grands vents. » Et on voit Galilée qui rit dans sa barbe en murmurant « Et pourtant il bouge! »

« Et les cloches sonnent sonnent! »
Un petit mot sur les cloches. Notre propos étant sur les statues, nous serons brefs sur les quatre cloches. Béni et nommé en 1902, le carillon de départ sonnait en note de mi, fa, sol et la. Le poids total des cloches était de 7 015 livres.
Notez que la cloche MI était la plus grosse, la plus basse et la plus pesante à 2 761 livres.
Un demi-siècle plus tard, en 1951, la cloche en MI, baptisée Saint-Léon, se brise. On la remplace par une plus grosse, de 3 500 livres, baptisée Pacelli, qui est plus basse, en RÉ. Ce qui porte le poids total à 7 937 livres. Imposant !
Les poids lourds en Beauce.
Un peu surprenant de retrouver 9 358 livres à l’église de Saint-Côme, ce qui fait le 2e plus lourd en Beauce. Le poids le plus imposant est le carillon de l’église l’Assomption : 13 750 livres, comprenant une cloche de 60 pouces de diamètre, de 5 450 livres, qui est en DO, ce qui en fait la plus basse de la Beauce.

Les deux statues
Et on arrive à nos bonshommes drapés de plomb doré, à l’extérieur du clocher principal. « De chaque côté, deux statues l’accompagnent : à gauche, celle de saint Joseph; à droite : celle de saint Jean-Baptiste. Elles furent sculptées par M. LOUIS JOBIN. »
Le fascicule ne donne pas plus de détails. C’est sous la plume de Pierre Morin, de la Société historique Sartigan, dans son article LES GARDIENS DU CLOCHER DE L’ÉGLISE DE SAINT-GEORGES, qu’on apprend que les statues « ont été faites en bois avec un revêtement de plomb recouvert de dorure. Elles font plus de deux mètres de hauteur (2,2 m). »
Même avec un revêtement de plomb, passer 75 ans dehors aux quatre vents du soleil au gel a des effets. C’est pourquoi « en novembre 1984, on a dû les descendre de leur piédestal et les entreposer dans le sous-sol de la sacristie, car elles étaient en très mauvais état, la statue de saint Joseph n’avait plus que son revêtement de plomb. On a dû les réparer, c’est la firme Hervé Pomerleau qui a effectué cette restauration. Par la suite, on les a remontées à leur place le dimanche 8 septembre 1991. »

L’article est ici: https://www.facebook.com/shsartigan/posts/1913492808898184 On peut, entre autres, y trouver les devises des cloches, leur poids, etc.
LE SYMBOLISME
Après le déclic, nous avons décidé d’explorer le côté symbolique de ce qui est vu. Ce qui semblait simple au départ s’est avéré complexe. On découvre que tout est symbolique, lié, relié, tricoté vieux de centaines, voire de milliers d’années. Imaginez ! Saint-Jean-Baptiste a un agneau, mais on a trouvé des statues du dieu grec Apollon qui portait aussi un agneau. La symbolique des millénaires.
Même en ne faisant qu’effleurer le sujet, on pense s’y perdre. Gardons cependant à l’esprit que le point de vue de l’article est purement historique, et veut simplement mettre en exergue l’omniprésente présence du symbolisme; il ne remet aucunement en question les croyances, quelles qu’elles soient.
Déclic!
L’indice était déjà dans le titre, mais c’est à la lecture dans le texte de « On les appelle les “gardiens” du clocher, mais on se demande bien ce qu’ils gardent. » Effectivement, les chances de vol sont très minces. Ce ne peut être une simple décoration. Une organisation vieille de deux mille ans ne s’en va pas au hasard. Après tout, on n’appelle pas les cloches la grosse, la moyenne, la petite et la mini. Elles sont bénies, ont un nom et une devise.
Passons maintenant aux cloches… du clocher.
Précisons tout de suite, juste en cas, que les « gardiens » du clocher gardent ce qu’il y a dans le clocher et non le clocher lui-même, comme un gardien de prison qui garde les prisonniers et non la prison.
Cependant, un doute nous corrode et nous vérifions « clocher ».
Sur le premier site visité, « Le clocher au milieu du village, c’est le symbole de nos racines », clame André Fanjaud, qui voulait sauver une église dans un petit village français. https://www.valeursactuelles.com/societe/andre-fanjaud-le-clocher-symbole-de-nos-racines-28761
Sur le deuxième, c’est Michel Tillie, de la Commission d’art sacré diocèse d’Arras, en France, qui offre un long document qui démontre que dans une église, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, tout est symbole.
Son document passe des symboles géométriques, aux nombres, jusqu’au bestiaire, tout y passe. C’est presque hallucinant.
Pour le clocher, il écrit : « L’édifice est lui-même symbole. Le clocher n’est-il pas la première chose que nous voyons lorsqu’on aborde un bourg ou un village ? Il signifie qu’en cet endroit se trouve la maison des croyants, il est message adressé aux croyants. »
Et voici les cloches!
Temps d’entrer dans le clocher. Nous avons consulté le dictionnaire des symboles pour celui de la cloche.
http://dictionnairedessymboles.com/2017/08/le-symbolisme-de-la-cloche.html
« Les cloches chrétiennes sont baptisées, elles reçoivent le sacrement. Un parrain et une marraine leur donnent le nom d’une sainte.
Le timbre de la cloche, de la sonnette, ou de la clochette, est une note de musique. Plusieurs cloches chantent une note différente. Elles carillonnent ; le son qu’elles émettent symbolise le Verbe de Dieu. Leur tintement est censé chasser les démons et appeler les fidèles. »
Alors voilà, les cloches symbolisent le « Verbe de Dieu ». Fallait y penser!
Problème avec le Verbe qui est un nom
Je présume que vous vous rappelez le début de l’évangile de Jean, « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout est né par lui, et absolument rien de ce qui existe n’a pris naissance sans lui. » https://livres-mystiques.com/partieTEXTES/sedir/Lenfance1/verbe.html
Ce qui nous mène à la Genèse, où il est mentionné tout au début que « l’Esprit de Dieu planait au-dessus de l’eau ». Il y a plusieurs versions de cette phrase dont : Le souffle de Dieu se tient au-dessus de l’eau / le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux / l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux / le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux.
Et le hasard intervient!

Il était donc question d’un verbe, d’un esprit et d’un souffle. Ça commence à être compliqué pour 2 statues. Comme chantait Plastic Bertrand autrefois, « Je m’arrête ou je continue? »
L’article fut donc mis sur la glace. Symboliquement il va sans dire.
Et il advint dans une conférence de presse sur l’échange annuel entre Ville de Saint-Georges et Lisieux, en France, que la chose arriva. Depuis de nombreuses années, l’événement a lieu, comme toujours dans le local d’histoire de Christian Lagueux, à la polyvalente de Saint-Georges.
On a placé, pour les journalistes, différents documents, dont une publication d’Histoire Canada sur « Les traités et les relations qui en découlent ». Traités avec les autochtones évidemment.
Le document est saisi. Note mentale sur le design accrocheur de la couverture. Rangé. Transporté. Et peu après, en tournant la première page, petit choc.
Il aurait été facile de rater l’explication de l’image, à la page intérieure de couverture, où on explique que la couverture est inspirée par la phrase « Aussi longtemps que le soleil brille, que l’herbe pousse, et que l’eau coule », symbolisée par les trois couleurs (rouge, vert et bleu) qui « ont été entrelacées pour ressembler à une tresse de foin d’odeur, et désignent traditionnellement l’âme, le corps et l’esprit… » On pense immédiatement à psychê, corps et pneuma (le souffle mentionné plus haut).
Un peu surprenant de constater que des traditions autochtones animistes rejoignent le symbolisme chrétien.
On continue, direction statues
Si les cloches expriment symboliquement le Verbe de Dieu, il serait donc convenable de les protéger symboliquement; et pourquoi pas par des statues?
Quel était le symbolisme de ces statues? Un symbole étant « ce qui donne sens en reliant deux réalités : une visible, l’autre invisible. » https://eglise.catholique.fr/glossaire/symbole/

L’Opus Dei et saint Joseph
Pour trouver l’explication du symbolisme de ces statues, nous nous sommes rendus sur le site de l’Opus Dei, mouvement religieux fondé en 1928 en Espagne, maintenant présent dans 61 pays. Si vous avez vu Le code Da Vinci, film basé sur le roman de Dan Brown, ça vous dit quelque chose.
Le message d’accueil du site est révélateur : « L’Opus Dei aide à trouver le Christ dans le travail, la vie familiale, et dans toutes les activités ordinaires. » https://opusdei.org/fr-ca/article/esprit/
Pour comprendre le pourquoi de la présence de la statue de Joseph, présence visible qui relie à l’invisible, le symbolique, les renseignements donnés par l’Opus Dei sur saint Joseph sont très informatifs.
En gros, saint Joseph, avec son bâton orné d’un lys, est présenté comme le gardien du « sanctuaire », que représente la Vierge et son fils, et par extension, de la famille des chrétiens. Il est donc qualifié pour protéger les cloches, dont « le son qu’elles émettent symbolise le Verbe de Dieu », comme on a vu précédemment.
Voici un court extrait du site
Le bâton orné d’une fleur, à l’instar de celui du grand prêtre Aaron, est un symbole éclairant. Le cardinal Ratzinger le rappelait en 1995. « Portant un bâton fleuri, saint Joseph est présenté comme grand prêtre, comme archétype de l’évêque chrétien. Marie, elle, est l’Église vivante ».
« Joseph, le juste, est appelé à être l’intendant des mystères de Dieu, père de famille et gardien du sanctuaire qu’est la Vierge et du Logos en elle. De cette manière, il devient l’image de l’évêque à qui la fiancée est confiée » (J. Ratzinger, ibid.).
Et plus loin. « Chef de la nouvelle famille des enfants de Dieu, Joseph administre les “prémices du salut” (Missel Romain, messe, 19 mars) : il fait grandir Jésus en corps et âme, ainsi que toute la famille ecclésiale. »
On peut dire que saint Joseph est pleinement qualifié.

Bonus
Et en bonus, on peut finalement comprendre l’allusion du groupe Les Cyniques à saint Joseph au long bâton fleuri, dans un de leur spectacle des années soixante-dix.
Évidemment, en ce qui concerne Dan Brown, l’Opus Dei ne semble pas beaucoup l’apprécier : https://opusdei.org/fr-ca/article/decrypter-le-code-anti-catholique-de-da-vinci-code-i/
Saint Jean-Baptiste
Voyons maintenant celui de droite, celui qui a un mouton à ses pieds. En fait c’est un agneau. L’expression « agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » rappelle l’idée de sacrifice expiatoire.
Donc, on pourrait dire que ceux qui ont choisi saint Jean-Baptiste comme patron des « canadiens-français », ne voulaient pas insinuer que ceux-ci étaient des moutons, genre moutons de Panurge, des « suiveux », mais plutôt ceux qui avaient choisi d’accueillir le « pneuma » du fils de Dieu.
Extrait de La christité, site des conférences de Jean-Marie Martin. prêtre, théologien et philosophe.
Dans un passage de l’évangile de Jean on peut lire « 29Le lendemain, il (Jean-Baptiste) voit Jésus marchant vers lui et dit : “Voici l’Agneau de Dieu qui lève le péché du monde.”… 32Jean témoigna disant : “J’ai contemplé le pneuma descendant comme une colombe du ciel et reposant sur lui, 33et moi je ne le connaissais pas. Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras le pneuma descendant et demeurant sur lui, celui-ci est celui qui baptise dans le Pneuma Sacré.’ 34Et moi j’ai vu et j’ai témoigné que celui-ci est le Fils de Dieu.”…
Saint-Jean-Baptiste est donc lui aussi un porteur de lumière et est très qualifié lui aussi comme gardien.
Catégorie : Je ne sais pas ce qui m’a pris de lire ça!
Pour distinguer entre chair (corps), âme (psychê), et esprit (pneuma), sentez-vous bien à l’aise d’aller vous casser la tête ici : http://www.lachristite.eu/archives/2014/09/12/30577812.html


Un autre Saint-Joseph tout près
Il y a également une statue de saint Joseph sur le fronton de la bibliothèque Marie-Fitzbach. Le couvent a été terminé en 1881 et “offert aux religieuses du Bon-Pasteur” comme le rappelle Roger Bolduc dans Saint-Georges d’hier et d’aujourd’hui, 1969, page 65. La statue comporte également le symbole du bâton protecteur.
On pourrait conclure de diverses façons, constatons simplement que les yeux ne perçoivent que la surface des choses, et que c’est déjà très bien. Cependant, force est de réaliser que l’être humain semble poussé ou attiré depuis toujours par curiosité, fascination ou simple plaisir, à découvrir ce qu’il y a au-delà de la matière, que ce soit en science, en philosophie, ou en fait, dans presque toutes les activités humaines… Le voyage continue.
