« Dérouler le film du temps et ses saisons »
EXPO-PHOTO DE FRANCE QUIRION
Par: Joffre Grondin
Depuis quelques années, la quantité et la qualité des expositions du centre culturel Marie-Fitzbach sont en hausse. On ne peut que s’en féliciter. Ce qui vient avec ce fait est assez intéressant. Il passe plus de gens, et ils passent plus souvent. S’ensuit une hausse de capacité d’appréciation du public pour les œuvres de toutes sortes qui sont exposées. Autrement dit, les gens présents en sont venus à voir des choses qu’ils ne voyaient pas avant.
Magie ? Non, il y a assurément quelque chose dans l’être humain qui apprécie l’harmonie, la beauté ; quand ce quelque chose y est exposé, il l’apprécie de plus en plus, sans effort. Le plaisir, ce n’est pas forçant.
Nous nous sommes donc demandé si, en demandant quelques indices à l’artiste, ça stimulerait le processus de plaisir d’appréciation?
La confirmation est venue en faisant l’exercice. « C’est ben plus meilleur quand tu sais quoi regarder », aurait pu dire Jean Chrétien ».
Choisir
Le soir d’un vernissage au Centre culturel, il y a au moins 5 expositions très différentes, présentées dans les différentes salles ; nous avons choisi France Quirion, celle qui présente la maison Lachance, en espérant pouvoir comprendre les explications, avec nos modestes connaissances en photographie.(N’y voyez pas de modestie, c’est la réalité).
France entre en scène
Nous voici donc avec la photographe France Quirion quelques jours plus tard dans la salle où on retrouve La Maison Lachance partout sur les murs, comme autant de pièces d’un puzzle, qui serait quand même unifié malgré l’éclatement de ses aspects.
L’exposition est nommée « Dérouler le film du temps et des saisons », titre très descriptif, car les photos déroulées de ce film emmaillent le temps, l’espace, et les objets à travers le filtre de la perception de France Quirion et de son appareil photo. Les deux sont liés.
Ne pas oublier : lire le nom que l’artiste a donné à son œuvre est très éclairant. Lire avant de regarder ou regarder avant de lire. Comme vous voudrez.
« Faire du beau avec du laid ».
Après dix pas dans la pièce et quelques regards, « belles photos », la première impression s’impose : « comment a-t-elle réussi à faire du beau avec du laid ? » On verra que c’est à la fois pensé et pas pensé.
Voyons voir !
Il ne faut pas penser que les artistes sont uniquement mus par l’inspiration et que « pouf », c’est fait. Dans tous les arts, c’est un mélange d’inspiration et de technique intégrée. On peut même étendre ça jusqu’à un joueur de hockey qui patine en reculant, enlève la rondelle au joueur adverse, s’élance, feinte, déjoue le défenseur, voit un angle au dernier moment et lance et compte. Foule grisée debout. Technique et inspiration et vice-versa.
On ne peut pas revenir à nos moutons, mais revenons à notre maison, bâtie vers la fin du 19e siècle.
L’extérieur
Dans la distribution des photos, ce sont celles de l’extérieur de la maison qui vous attendent sur le mur de droite, en entrant. C’est le film des saisons avec toutes ses couleurs. Comme les photos ont été prises sur plusieurs années, on remarque que les objets changent : les chevaux datent de 2011, les billots n’ont été là que pendant 3 mois, l’autobus pendant 3 semaines en 2014, les chats viennent d’arriver, les portes ont été modifiées. Continuité dans le paysage qui est toujours superbe.
L’intérieur
On voit le déroulement du temps sur les autres murs. Les différents objets à l’intérieur sont présentés, portes, escalier fenêtres, artéfacts variés ; on y voit même les intérêts des vieux messieurs pour le vin.
Et comment fait-on du beau avec du laid ou du pas beau, ou du très ordinaire ? « En isolant le sujet, en jouant avec les ombres et les effets de lumière » répond France Quirion.
Le but : une empreinte de douceur
Voyons comment la dame décrit son processus. Citons. « Le plus important à retenir, c’est que je ne cherche pas à “PRENDRE” une photographie, mais à vivre une expérience qui me fasse vibrer jusqu’au plus profond de mon être.
Lors du processus créatif, je ne cherche jamais à appliquer des règles photographiques, ni à exercer un contrôle sur le sujet, pas plus que je ne pense en termes de finalité, en regard de mes photographies.
Le seul but que je poursuis, c’est de vivre ces instants d’excitation voire d’exaltation, lorsqu’après avoir composé ce qui me semble bon, j’appuie sur le déclencheur. Dès que je porte ma caméra à mes yeux, je ne fais que répondre de manière intuitive et spontanée à ce qui s’offre à moi. »
Pour l’aspect technique : c’est toute ma fondation artistique en peinture et en photographie, ainsi que mes connaissances techniques dans ces deux domaines et que je cesse de travailler à accroître en photographie, qui sont à l’œuvre en arrière-scène.
La résultante est évidemment un mélange des deux aspects.
« Cette fondation m’a permis de mieux définir ce que je veux traduire moi-même dans ma vision artistique et de le rendre en accord avec elle et ce que je suis… Tout mon travail d’art est empreint de douceur et de poésie et tous mes choix techniques convergent afin de réaliser cette vision artistique. »
Douceur !
On retient ici « empreint de douceur ».
Pour arriver à ce résultat, toujours à l’intérieur, différentes techniques, dont le « flou contrôlé », de grandes ouvertures de diaphragme pour l’obtention de larges zones floues, donnent une impression de douceur.
Ne pas utiliser de flash, cela peut créer un éclairage brutal en plus de tuer la lumière ambiante.
L’utilisation d’une focale moyenne, souvent 85 mm, donne une compression des plans, donc douceur.
Le choix d’un sujet avec couleurs défraîchies donne un aspect usé, patiné.
Les six photos du fond illustrent 6 mouvements de lumière.
Au centre
Plusieurs des photos des murs reviennent dans le montage au centre de la pièce, mais en couleur. Les photos carrées sont un clin d’œil aux appareils Polaroid, Brownie et Hasselblad. Les carrés rouges et verts recréent les couleurs de la maison.
France nous apprend que la lecture d’un format carré se fait de manière différente, non pas de gauche à droite, mais de manière circulaire, donc courbe, qui ramène à plus de douceur.
On aperçoit également une série de photo, mais traitées à la façon de différents films anciens. L’un d’entre eux est le Technicolor Process 4. Nul autre que Walt Disney l’a utilisé pour ses films les plus célèbres.
C’est au boutt »
Les conditions de luminosité à l’intérieur de la maison poussent l’appareil et la technique à ses limites. Que tire la photographe de ces années passées à tout examiner et croquer ? « La maison m’a appris à intégrer mes techniques de photo… un cours de photographie », affirme France Quirion, magicienne de la lentille.
« Cette manière d’être à la vie est devenue une seconde nature et ma recherche ne s’arrête jamais », conclut l’artiste.
Il ne vous reste qu’à vous rendre sur place. Vous avez jusqu’au 7 mai.