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Conte pour adultes

BELLES DES BOIS

Par: Joffre Grondin

Du bois, du bois et du bois. De Saint-Georges à Saint-Aurélie à la "Boundary" et ensuite dans les bois du Maine pour se rendre en haut de la ligne bleue, où se trouvaient les belles des bois. Toute une aventure en vue.

Il était une fois, il y a très longtemps, trois petits garçons à peu près du même âge qui étaient voisins. Le papa de l’un deux travaillait sur le chemin de fer, tout comme l’avait fait son père avant lui; le papa du deuxième travaillait aussi au Québec Central comme sectionnaire. Il allait devenir le plus vieil employé de la compagnie (record imbattable parce qu’il avait commencé à douze ans), mais cela, il l’ignorait pour le moment.

Le travail du papa du troisième n’avait rien à voir avec les trains, mais quand le papa du troisième n’avait que quatorze ans, il s’était sauvé de l’orphelinat de Saint-Ferdinand d’Halifax où on l’avait placé à la mort de sa mère. Il avait réussi, on ne sait comment, à rejoindre son père qui travaillait dans le Maine comme contremaître pour Édouard Lacroix. Il fallait avoir du « guts » pour faire ça. Et là où son père travaillait, il paraît qu’il y avait un vrai chemin de fer, en plein bois. Mais c’était dans les années trente. Il y avait vingt-cinq ans de ça. Une éternité.

On vient enfin d'arriver sur terrain sec et des rails en plein bois. Bonheur pour André!

En attendant, les trois petits garçons regardaient passer les trains, en plaçant quelquefois des clous ou des cennes noires sur les rails avant que le train arrive et s’émerveillant après le passage du train de les voir plats plats plats.

Moments d’enfances heureuses.

Il devait y avoir une voie d'évitement ici. On s'apercevra plus loin qu'on était tout près et que les wagons à remplir prenaient à gauche. À droite se trouvait l'entrepôt.

Et la vie passa et les trains furent rangés dans une petite cellule-souvenir quelque part dans leurs têtes et la vie continua de passer et de passer. D’un tic-tac à l’autre, d’une heure à l’autre, jour après jour, année après année, le temps toujours patient accumula sans sourciller un demi-siècle.

Un jour, on annonça aux anciens petits garçons que désormais ils pouvaient aller où ils voulaient, quand ils le voulaient, avec qui ils voulaient, et ce, n’importe quand, même la semaine. Ça s’appelait la retraite.

C’était un peu surprenant. Que faire de tout ce temps ? Faire tout ce qu’on n’avait pas eu le temps de faire bien sûr. Mais vu qu’ils avaient désormais le temps, il fut convenu à l’unanimité que le meilleur à faire pour commencer était de ne rien faire.

L’un des anciens petits garçons eut alors une idée. Déjeuner ensemble. Jamais, dans le demi-siècle passé, ils n’avaient eu de déjeuners ensemble. C’était comme si la vie n’avait pas eu le temps pour déjeuner. Cette fois, elle l’avait et l’idée fit encore l’unanimité.

On venait de là, mais je ne l'ai pas vu tout de suite. Ce n'est qu'ensuite qu'on se demande qui peut bien utiliser cette traverse. Ce qu'on voit tout d'abord, c'est la photo qui suit. Après une marche d'un ou deux kilomètres en plein bois, on ne s'attend pas à ça, même si on avait été prévenu.

Le marcheur pas très concentré est soudain ébloui et se trouve face à face avec deux énormes locomotives.

Les déjeuners c’est merveilleux. Surtout quand il commence vers 8 heures et demie et que lorsque 9 heures arrive, il n’y a rien qui presse. Au cours du déjeuner, ils ont réalisé que bien qu’ils aient fait beaucoup de choses, ils n’avaient pas fondamentalement changé. Les corps étaient plus vieux, mais le feu de leur adolescence était encore là.

Tout est revenu naturellement. Celui qui disait, « Qu’est-ce qu’on fait » ? a dit , « Faudrait faire quelque chose » ; celui qui disait « Les gars, j’ai une idée » a dit « Les gars, j’ai une idée » et le troisième qui disait « Y doit avoir quelqu’un qui… » a dit « Je connais quelqu’un qui… ».

On ne se sent pas très gros.

C’est ainsi que les trois compères, ayant eu le goût de faire quelque chose ensemble comme proposé par le premier, ont saisi l’idée du deuxième, qui avait parcouru les bois toute sa vie, d’aller dans le Maine voir les locomotives abandonnées en plein bois, à ce qu’on disait. Et le troisième connaissait un guide pour y aller.

En prenant tout leur temps, ça s’était décidé très vite. Mais ils allaient voir quoi au juste ?

Retour historique

Il y avait très longtemps, en 1925 en fait, l’entrepreneur beauceron Édouard Lacroix faisait des affaires dans le Maine et avait passé un contrat avec la Great Northern. Il allait leur livrer 125,000 cordes de bois de pulpe par an, mais avec une condition spécifique : les livrer à la branche ouest de la rivière Penobscot, ce qui permettait de faire flotter le bois jusqu’au moulin de Millinocket.

Capturés pour la postérité devant les couleurs un peu surréalistes dessinés par le temps, le guide, l'auteur, et Michel Laflamme posent sur les dormants... qui risquent de dormir longtemps.

Gros problème, la division des eaux est à cet endroit, entre le lac Eagle et le lac Chamberlain. Il fallait donc que le bois passe la colline d’une façon ou d’une autre. La solution adoptée par Édouard Lacroix fut de construire un chemin de fer. Avec les moyens de l’époque, une entreprise titanesque.

Inaugurés le 1er juin 1927, les rails couraient à travers la forêt, pour plus ou moins 16 milles (environ 26 km) de la tête du lac Eagle jusqu’au lac Umbazooksus. Après quatre années, les réserves de bois étaient épuisées et au début des années 30, les locomotives firent un dernier voyage avant d’être remisées dans un énorme hangar qui fut dévoré par les flammes en 1971.

En route pour l’aventure

Le 20 juillet 2002, journée magnifique, nos trois aventuriers, après un bon déjeuner, se dirigeaient vers Saint-Aurélie et la Boundary,  endroit où on trouvait autrefois un hôtel très achalandé, près d’un petit pont. De l’autre côté de ce presque ruisseau, c’est le Maine. Le guide, homme qui avait vu le monde avant de terminer sa carrière comme douanier, habitait juste en face du pont, du côté canadien.

La douane est une formalité. On en est pas encore au passeport obligatoire et après tout, c’est un confrère.

Magané, magané. On dit que depuis ce temps (2002), on les aurait rénovés. C'est à vérifier

Des arbres, du bois, de la poussière sur une petite route gravelée où la priorité est aux camions de bois. Le temps ? Deux heures, un peu plus. Plus on s’enfonce dans cette forêt immense, moins le temps a d’importance. Et soudain, il n’y a plus de route.

André voulait monter à bord du train

Une heure dans le bois. On s’en va en descendant. Les sapins ont une tendance à se ressembler terriblement. Très content d’avoir un guide. Ce guide, d’ailleurs, et notre coureur des bois sont « full equipped » avec tout un bataclan, mais les deux autres que nous sommes sont plutôt des coureurs de trottoirs en tennis. Heureusement, c’est assez sec, pas trop mouillé en fait.

Évidemment, nos deux coureurs des bois ont des bottes à l’épreuve de l’eau, et s’en vont flic a flac tout droit, alors que les deux citadins mal équipés gambadent à gauche et à droite pour mettre les pieds sur ce qui n’est pas mou et mouillé.

On dirait qu’on commence à remonter, c’est plus moins mouillé. Soudain, sans avertissements le guide s’arrête l’air… d’un guide arrêté finalement. Y’a ti vu un ours ? Ben non ! C’est en regardant le sol qu’on voit les rails. En pleine forêt. Stupéfiant.

Les locomotives sont toujours là, et on suppose être tout près.

Pas sûr si le guide a dit un mot. On suit les rails. De temps en temps, on voit des arbres qui ont poussé entre les rails. Un peu hallucinant. C’est beaucoup plus facile de suivre les rails que d’enjamber les arbres tombés et de sauter pour éviter de noyer ses tennis.

Le confort est revenu. La forêt est sombre et fraîche sous les arbres, mais des rayons de lumière réussissent à traverser ça et là. Difficile d’évaluer le temps. C’est tellement calme et on n’est pas pressé. Et au sec en plus.

Soudain, c’est l’éblouissement. Juste le temps de voir du soleil en avant et de penser qu’il doit y avoir une clairière et en une ou deux secondes, deux locomotives côte à côte vous regardent de leur oeil unique. Après des arbres et des arbres et des arbres, pendant si longtemps, le cerveau a l’air de décider qu’il n’y a rien d’autre que des arbres et soudain, paf ! deux locomotives. Un choc agréable. On regarde, on fait le tour, ce n’est pas croyable, deux locomotives entourées d’arbres.

Après s’être bien amusé, le photographe curieux a l’idée de monter sur la petite butte. Pas plus de 25 mètres. Et le lac Eagle est là. Une photo. En baissant les yeux, trois personnes en canot et kayak sont en train d’aborder. On aperçoit une rame. La conversation s’engage. Ils rament depuis deux jours. On trouve de tout dans les bois, même des amis.

Une toute petite clairière. Sur la gauche, tout près, dans le genre 75 pieds, le lac Eagle, là d’où venait le bois qui allait être transporté par le train au lac Umbazooksus, du côté ouest du lac Chamberlain.

Le site est probablement entretenu par l’état du Maine, car il y a un panneau explicatif et une couple de bancs rustiques qu’on n’avait pas remarqués. Marcher dans le bois, ça creuse. On peut s’asseoir et sortir les sandwiches. C’est la belle vie.

Le tramway

En 1903, quelqu’un de très ingénieux a construit une sorte de « tramway » pour transporter les billots entre les deux lacs. C’était un câble d’acier d’un pouce et demi qui va d’un lac à l’autre mu par un moteur qui tirait les billots d’un lac à l’autre. Le système a fonctionné pendant six années, mais il n’en reste plus grand-chose.

Un câble qui nécessitait presque 2 kilomètres pour l'aller retour. En cent ans, les arbres ont poussé.

Il y a une sorte de vague sentier qui suit approximativement le câble. On se dit qu’on va aller voir. Le guide nous assure que « c’est pas loin ». En fait, un peu plus d’un demi-mille ou un peu moins d’un kilomètre séparent le Eagle du Chamberlain.

Près du lac Chamberlain, on aperçoit ce qui reste des moteurs et des chaudières utilisés pour tirer le bois.

Ça paraît petit, mais c'est plus haut qu'un homme

On s’en va en montant évidemment. Rendu au Chamberlain on est accueilli par ce qui reste de la machinerie ancienne et un orignal au bord du lac. Les deux semblent totalement indifférents à notre présence.

Le lac Chamberlain. L'orignal est tout près, mais caché par les branches. Un photographe sans bottes de caoutchouc ne va pas dans l'eau, même pour un orignal.

Et c’est la descente vers le Eagle. Après un dernier coup d’oeil aux belles des bois, on s’enfonce dans la forêt. Il faut être de retour avant que le poste frontière soit fermé. Il ferme à cinq heures. C’est comme ça. Après quelques flaques d’eau et le long chemin du retour, nous y arrivons de justesse.

Michel Laflamme, heureux d’y venir, heureux de repartir

Les bois, c’est agréable à visiter, mais pour y vivre…

Ça s’est passé le 20 juillet 2002. Presque 10 ans plus tard, il y a comme une envie d’y retourner. Avec une bonne paire de bottes.

De retour vers la civilisation : une route

De bien beaux souvenirs quand même.

Où sont les trois anciens petits garçons ?

André Bisson a réalisé ce qu’il appelait son rêve. Vers la soixantaine, il est devenu courtier immobilier. Il se spécialise maintenant dans les chalets, spécialement dans la région de Lambton. Il a développé un marché autant au Québec qu’en France. Vous ne vous étonnerez pas de voir sa carte d’affaires sur notre site.

Michel Laflamme, à sa retraite, a finalement eu le temps de se concentrer pour développer sa magnifique voix de basse. Il l’a fait avec une grande assiduité. Après plusieurs spectacles en région, autant de style classique que populaire, il se forge maintenant non seulement un mode d’expression nouveau , mais de solides amitiés.

Le troisième est heureux de signer cet article de Beauce Magazine.

Joffre Grondin

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